Ils sont dans la chambre de la petite, tous deux assis à une petite table, jouant à la dinette, leur jeu préféré, du moins le sien à elle, Lana, cela reste à voir pour son père, Erik Hellstörm. Elle est installée sur sa petite chaise, lui peine à tenir à l’aise, ses longues jambes peinant quelque peu à trouver une position confortable. Elle lui ressert du thé, imaginaire, bien sûr, pour lui, il est rouge, comme il l’adore, pour elle il est rose et brille, pour Momo, du café au chocolat, chacune de ses tendres peluches ayant une boisson attitrée. Puis la petite se redresse d’un bond en s’écriant, réalisant son oubli :
« PAPA ! » Il l’interroge du regard, quelque peu habitué par ce genre de comportement venant de l’enfant.
« Tu sais quoi ? Tu sais quoi ? J’ai été sage ! J’ai rangé mes dessins ! » Il la regarde avec un air suspicieux à peine caché, il suffit de voir la chambre de l’enfant pour se douter que le rangement est loin d’être sa tasse de thé…
« C’est vrai !! Regarde ! » Elle gambade jusqu’à son petit bureau à dessin, là où s’étalent des milliers de feutres, de crayons aux diverses couleurs, tirant un petit tiroir pour sortir un classeur, celui qu’il lui a acheté il y a déjà plusieurs mois pour qu’elle en fasse cet usage. Elle revient en sautillant et se glisse sur ses genoux pour ouvrir le classeur :
« Tu vois ? Ils sont dans l’ordre !! » Elle fait défiler les pages plastifiées entre ses doigts, les premiers sont bien sombres, faisait sourire tristement son père, mais elle passe rapidement dessus… Les derniers sont de suite bien plus colorés…
Les premières planches sont assez sombres, abîmées par le temps, après tout, elles datent d’il y a déjà quatre ans. Ses souvenirs de son enfance, ces images qu’elle a gardées de son lieu de naissance et qui ne lui remémorent jamais rien de bon. Pourtant, elle les garde, par pur désir de ne jamais vraiment oublier d’où elle vient. De ce village maudit, peuplé uniquement de mages noirs, entouré de cette aura sombre visant à protéger les habitants des menaces extérieures. Ce village étrange duquel personne n’a le droit de s’échapper, répondant aux moindres ordres de leur chef. Elle a un dessin de lui, un homme tout en longueur, vêtu de noir, des cheveux blonds apparemment en brosse vu la représentation de Lana, des yeux sombres transpirant la méchanceté et la violence. Il lui a toujours fait peur, toujours. C’est pourquoi elle passa rapidement sur ce dessin. Tout comme sur ceux de son village, pour s’attarder une seconde de plus sur celle de ceux qui avaient un jour été ses parents.
Ils l’étaient toujours… Normalement. Mais elle ne les avait pas vu depuis que sa route avait croisé celle d’Erik et n’était pas pressée de les revoir, appréciant de voir leur image s’effacer lentement et se flouter dans son esprit. Pourquoi ? Pour la simple et bonne raison qu’ils ont toujours été durs et froids avec elle, cherchant à la dresser plus qu’à l’éduquer, l’effrayant un peu plus qu’elle ne l’était déjà. Pourtant, ils ont été, un jour, fiers d’elle. Lorsqu’elle a développé ses pouvoirs à un âge si jeune, chose extrêmement rare qui a plu et su attirer sur eux les regards. Mais elle n’a jamais eu le contrôle, sa peur engendrant toujours une colère dure de la part de ses parents. Cette fierté fut donc courte et éphémère. L’enfer commençait pour l’enfant, avec l’apparition de sa magie. Deux années de travail, mais elle était bien trop jeune pour parvenir à quoique ce soit, pour parvenir à comprendre ce qu’elle avait en elle et comment devenir maître de ses capacités. Elle avait beau essayer pour ne pas se faire gronder ou frapper, par ses parents, ses instructeurs ou encore ce chef terrible qui avait un œil sur elle, son intérêt ayant été déclenché par son jeune âge. Une pression folle pesait sur l’enfant, ses cauchemars étaient lancés, les accidents aussi et sa peur de l’endroit n’avait cesse de grandir. Elle ne rêvait que d’une chose. Partir, s’échapper avec son Momo pour partir avec lui et ne plus avoir peur.
Deux années dures et longues, chacun cherchant à lui inculquer une maturité qu’elle n’était pas en âge d’acquérir. Qu’elle n’était tout simplement pas faite pour avoir. Son esprit n’était pas forgé de la sorte, étrange étant donné ses racines et la mentalité des membres de sa famille, mais Lana a toujours été un électron libre. La limiter, chercher à la maîtriser, à la contenir ne ferait que la faire rêver un peu plus d’un autre monde. Elle en avait fait des dessins à cette époque, des dessins plus colorés, plus joyeux, où elle était là, avec son Momo, un sourire aux lèvres, au milieu de plaines vertes, au bord d’un lac à l’eau claire et fraîche, une glace aux milles et un parfum tenant dans un équilibre impossible. Ces dessins, elle ne les avait plus, elle avait beau les cacher, comprenant que cela ne faisait que nourrir un peu plus la haine de ses parents à son égard, ceux-ci les détruisant toujours avec un petit sourire sadique. Des parents… Vraiment ? Comment peut-on se satisfaire de la tristesse, du mal-être et de la peine de son propre enfant. Elle ne les aimait pas. Dans ce village lugubre, le seul qu’elle aimait vraiment, qui était là pour elle, qui l’a réconforté toujours n’était autre que son Momo…
Les dessins défilent à nouveau entre ses doigts, impatiente d’arriver à des images plus colorées, ceux-ci sont encore bien trop dans des teintes de noir et de gris à son goût… Elle s’arrête sur les trois silhouettes au milieu d’un champ vert :
« Eux… Ils étaient très méchants… » Bougonne-t-elle en tapant violemment du doigt sur ce qui semble être la tête de ceux qui l’ont poursuivie alors qu’elle fuyait, serrant Momo dans ses bras, quittant pour la première fois le village, rêve fou d’une enfant désespérée et triste, cherchant vainement et inconsciemment à échapper à la destruction et à ce que ces monstres souhaitaient faire d’elle. Erik lui passe une main dans les cheveux avec un gentil sourire :
« Mais ils ont disparu hein ? Je m’en souviens de ça… Je t’avais dit de ne pas regarder d’ailleurs… » Dit-il en montrant le dessin de droite, contenant beaucoup de rouge. Elle sourit et s’attarde sur celui de gauche :
« Ça c’était avant que tu ne me trouves… »Sur le dessin, il y a elle, toujours avec son ours dans les bras, un homme l’empoignant par le poignet. Ils avaient été trois à la poursuivre suite à sa fuite, trois à la chercher et à la traquer. Elle avait tenté de se cacher, mais lui l’avait trouvé, sa magie étant instable, il l’avait décelée de la sorte. Mais quand il était apparu soudainement, elle avait pris peur, d’autant plus lorsqu’il l’avait attrapé avec violence par le poignet pour la traîner derrière lui, la forçant à abandonner sa peluche. Elle avait crié, elle avait pleuré et d’un coup, l’homme avait pris feu. Il l’avait lâché en hurlant de douleur, pris par surprise, il n’avait su éteindre les flammes qui le dévorait, elle avait fui sans comprendre ce qu’il se passait, sans savoir qu’elle s’était défendue, qu’il en était mort. Heureusement, qu’elle avait fui…
Les deux autres n’avaient pas pour autant abandonné, jusqu’à ce qu’on en arrive au dessin de droite… Jusqu’à ce qu’elle soit bloquée, que l’un la frappe violemment au visage et qu’elle crie, cherchant vainement et désespérément de l’aide. Et c’est là que son super-héro est apparu. Ce géant blond sorti de nulle part… Elle avait levé des yeux embués et plein d’espoir vers lui, allant jusqu’à se tordre le cou pour, cachée derrière ses jambes. Sa peur était toujours là, tordant son cœur de douleur, embrumant son esprit. Jusqu’à ce qu’il fasse un geste empli de chaleur et de douceur, un simple geste qui sut la calmer étrangement. Il lui fit un signe de la main, elle l’écouta sagement, essuyant sans le quitter des yeux le sang qu’elle avait à la lèvre. Il lui demanda de cacher ses yeux et là encore, contre toute attente, elle lui obéit. Elle-même ne savait pas vraiment pourquoi, peut-être parce qu’il était le seul à faire preuve de douceur et de gentillesse à son égard, chose qu’elle n’avait jamais connue…
Elle avait fermé les yeux, s’était abstenue de jeter un coup d’œil tant les sons la crispaient. Elle resta là, sans bouger, jusqu’à ce que le silence se fasse. Elle sentit une présence, priant pour que ce ne soit pas la vilaine dame…
« Tu peux sortir. Je m’appelle Erik. Plus personne ne te fera du mal, je te le jure. » Elle redressa d’un coup la tête, c’était lui à son grand soulagement. Elle l’écouta sagement, sentant la peur la quitter, les tremblements s’apaiser. Elle lui tendit la main, hésitante, crispée à l’idée de recevoir une claque, comme c’était habituellement le cas. Mais rien, au contraire, il renferma la sienne dessus et elle s’y agrippa, y mettant toutes les forces qu’il lui restait, sentant ses larmes touchées et reconnaissantes couler, se serrant contre lui lorsqu’il la porta, se sentant, pour la première fois, bien et en sécurité. Ce même lorsqu’elle releva une seconde la tête pour voir la rue inondée de cette couleur rouge foncé, devinant l’homme et la femme allongée sur le sol, les guettant pour qu’ils ne se relèvent pas, ne sachant pas que son sauveur les avait privés du moindre souffle de vie.
Voilà pourquoi son dessin était si parsemé de rouge, parce qu’elle se souvenait de cela sans savoir qu’il s’agissait de sang. Depuis, le rouge a toujours été sa couleur préférée, la couleur qui a permis à Erik de l’ôter des griffes de ces monstres qui l’avaient toujours effrayée.
Quelques pages après, les couleurs sont de nouveau là, ces premières peluches, ces premiers jouets que lui a offerts Erik, et enfin une page, pas vraiment un dessin, ce qui est dessus, son prénom, Lana et le nom qu’Erik lui a donné : Hellstörm. Il rigole :
« Tu te souviens comme tu as eu du mal à le prononcer ? » Elle boude en réprimant un sourire :
« Oui… Mais je voulais bien le prononcer aussi !! Je faisais des efforts ! » Ce nom a sûrement été l’un des plus beaux cadeaux que ne lui a jamais fait Erik… Un simple nom pour l’ouvrir sur une nouvelle vie, un nouveau monde, comme elle l’aimait. Il ne l’a jamais laissée, il ne l’a pas abandonnée et pourtant rien ne l’empêchait de faire de telle. Il ne devait rien à l’enfant et elle s’est toujours demandé pourquoi il a toujours été aussi gentil et attentionné à son égard. Pourquoi il l’a prise sous son aile, pourquoi il l’a élevée, pourquoi il s’est occupé d’elle comme de sa propre fille… Elle n’a jamais su et n’a jamais demandé, craignant peut-être la réponse, ou qu’il réalise, préférant profiter de ces moments avec lui.
Quelques dessins plus tard, Erik est dessiné, recrachant son verre de ‘vin’, Lana tout sourire à ses côtés, un ‘Papa’ écrit d’une drôle de manière, au centre d’une bulle sortant de la bouche de l’enfant. Il sourit attendri :
« Tu m’as surpris la première fois, tu sais. » Elle opine vivement :
« Oui ! C’était rigolo papa ! » Il n’a plus cette réaction depuis. Elle avait osé, sans vraiment y réfléchir, comme si cela lui semblait impossible de l’appeler autrement. Car il a de suite été tout pour elle, bien plus qu’un protecteur, qu’un ami, qu’un sauveur, un véritable père, comme elle n’en a jamais eu… Elle se renfrogne :
« C’est pas drôle, tu ne fais plus cette tête quand je le dis maintenant… » Dit-elle en déposant son regard sur son dessin. Il lui ébouriffe les cheveux :
« C’est pas pour autant que ça ne me fait pas plaisir ma princesse… » Il a l’un de ces sourires qui a l’art de contaminer Lana. Elle se sert instinctivement contre lui, comme si aujourd’hui encore son monde dépendait de lui.
« Ça me va aussi alors. » Ils avaient encore essayé de la retrouver, ces monstres qu’elle dessinait toujours avec des regards terribles et des vêtements noirs, ces ombres qui ne la lâchaient jamais…. De jour comme de nuit, dans ses mauvais rêves. Les premiers cauchemars, elle se réveillait en criant, mais elle avait surtout peur d’éveiller la colère d’Erik, comme celle de ses anciens parents. Mais lui venait toujours pour la bercer, sécher ses larmes, la réconforter et l’aider à se rendormir, lui conter des histoires, la faire rire. Il était toujours là. Il ne la laissait jamais seule. Ces cauchemars étaient bien moins présents, les tentatives pour la kidnapper aussi. Elle se méfiait de moins en moins, ne se doutant même pas qu’Erik s’en chargeait à sa place…
Ils avaient une nouvelle vie ensemble. Lana était bien au courant de ce qu’était Erik, mais elle n’a jamais eu peur de lui, bien au contraire, elle s’amusait à le voir sortir les crocs pour la faire rire, à caresser ses veines sous ses yeux, le traitant de panda géant pour le taquiner, l’attendant sagement lorsqu’il sortait se nourrir. Il avait lui-même essayé de l’aider avec ses pouvoirs, de manière plus ludique, plus douce, plus patiente, malgré le fait qu’il ne soit pas un expert, mais sans lui, elle serait restée la bombe à retardement qu’elle a toujours été. Elle fait toujours des écarts, c’est une enfant, mais jamais il n’a eu peur et jamais il ne l’en a grondé, préférant la calmer et la réconforter, l’encourager pour qu’elle ne finisse pas par haïr sa nature qui l’effrayait tant.
Elle referme son classeur, les dernières planches étant pleines de couleurs, leur redonnant à tous deux le sourire.
« Bravo pour le rangement Lana. Maintenant faudrait penser à tout ça hein... » Il jette un regard à la panoplie de jouets et de peluches étalées un peu partout dans la pièce. Elle regarde aussi et va ranger son classeur puis hausse des épaules :
« Bah quoi ? Ils sont tous à leur place ! » Elle sourit face à son exaspération et s’installe à nouveau sur son petit siège, attrapant sa tasse et faisant semblant de siroter son thé.
« Alors papa ? Il est comment ton rasus positif ? » Il rigole avant de jouer le jeu lui aussi :
« Il est très bon ce rhésus… » Ils rigolent ensemble et continuent de jouer une bonne partie de l’après-midi.
Voici comment va la vie de Lana désormais. Vivant tous les deux dans cette ville qu’elle ne connaît pas, mais qui ne lui fait aucunement peur, sachant qu’elle y vit avec son papa et que donc rien ne pourra jamais lui arriver. Car elle l'a lui, il l’a elle, alors comment les choses pourraient-elles mal tourner ?